Je suismaintenant un vieilhomme, et, commebeaucoupd'habitants de notrevieille Europe, la premièrepartie de mavie a étéassezmouvementée: j'aiététémoind'unerévolution, j'aifait la guerre dans desconditionsparticulièrementmeurtrières (j'appartenais à l'un de cesrégimentsquelesétats-majorssacrifientfroidement à l'avance et dont, en huitjours, il n'estpratiquementrienresté), j'aiétéfaitprisonnier, j'aiconnu la faim, le travailphysiquejusqu'àl'épuisement, je me suisévadé, j'aiétégravementmalade, plusieursfoisaubord de la mort, violenteounaturelle, j'aicôtoyélesgenslesplusdivers, aussibiendesprêtresquedesincendiairesd'églises, de paisiblesbourgeoisquedesanarchistes, desphilosophesquedesillettrés, j'aipartagémonpainavecdestruands, enfinj'aivoyagé un peupartout dans le monde... etcependent, je n'aijamaisencore, à soixante-douzeans, découvertaucunsens à toutcela, si ce n'estcommel'a dit, je crois, Barthesaprès Shakespeare, que « si le mondesignifiequelquechose, c'estqu'il ne signifierien » - saufqu'ilest.
Comme on voit, je n'airien à dire, ausenssartrien de cette expression. »
ClaudeSimon, extraitduDiscours de Stockholm - 1985